Pensée écologique, théologie et … Marvel !
J’ai, en résumé, trois passions dans la vie. Dieu, l’écologie et les univers de fiction. Et tenter de mêler les trois est un défi très stimulant ! Du coup, cette semaine, je vous propose d’aborder un sujet croustillant de la pensée écologique : la démographie. Mais, pour ce faire, nous allons utiliser notre aubergine préférée de l’univers Marvel, le Titan fou Thanos ! Enfin, comme la question de la démographie touche à celle de la prospérité et croissance humaine, nous pourrons finir en repensant théologiquement ces dernières. Vous verrez, ça va être fou.
Thanos : le titan au projet démographique.
Alors, commençons par présenter très rapidement Thanos et son projet pour régler les problèmes de la galaxie ! Pour faire simple, Thanos est le big boss de la saga Marvel jusqu’à présent. C’est celui contre lequel les Avengers (les good-guys) doivent lutter directement ou indirectement dans la plupart des films de la saga.
Voici la description de Thanos selon le site officiel des studios Marvel :
« Utilisant le pouvoir des Pierres d’Infinités, Thanos croit qu’il peut finalement sauver l’univers en éliminant la moitié de sa population »
Site officiel du MCU
Pour compléter, voici comment je résumerais le projet de ce cher Thanos :
- Le problème : l’univers est fini mais les êtres vivants qui l’habitent croissent de manière infinie. Ce qui mène au chaos.
- La solution : éliminer 50% des êtres de l’univers.
- (Moyen : les 5 Pierres d’Infinités et un claquement de doigts stylé.)
Honnêtement, pas besoin d’en dire davantage sur Thanos. Même si son projet s’étale sur plusieurs films, ce dernier est somme-toute simple. La cause de tous les problèmes c’est la démographie. C’est son obsession. Il croit donc être le sauveur de l’univers en cherchant un moyen de la réduire. Et, ce qui est intéressant, c’est qu’il existe un courant d’écologie politique qui pense exactement la même chose : il s’agit du courant malthusien.
T.R. Malthus et le problème de la population.
Pour commencer, le nom « malthusianisme » vient d’un chercheur britannique : Thomas Robert Malthus (1766-1834). Tout comme Thanos, Malthus est obsédé par la question de la croissance de la population. Malthus fait remarquer que la population croît – sans obstacle majeur – de manière géométrique (ou exponentielle). A l’inverse, la production de nourriture ou de ressource croît, généralement, de manière arithmétique (ou linéaire) (Maréchal, 2017). D’accord, c’est complexe. Mais en image, c’est plus simple à saisir l’idée :
Donc, exactement comme l’affirme Thanos, si on laisse les êtres vivants continuer de croître, ça mène obligatoirement à l’épuisement des ressources. Même si la courbe de la population prend plus de temps à grimper, elle finit à l’absolu par dépasser celle des ressources selon Malthus. En bref, ça mène à l’autodestruction du monde. Petite précision : pour Malthus, l’emballement démographique, c’est l’emballement des populations pauvres – je vais y revenir. Or, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la pensée de Malthus va être reprise par une partie de l’écologie politique (Osborn ; Vogt ; Erlich ; Hardin ; etc.), qui va réduire, en gros, tous les problèmes écolo à cette question de la démographie. C’est la cause de tout pour cette pensée malthusienne. Ainsi, mon titre se justifie : Thanos est l’idéal malthusien !
Les soucis du courant malthusien (et de Thanos du coup).
Ce qui est fascinant c’est que, dans les films de Marvel, à ma connaissance, les héros combattent Thanos avant tout pour sa solution au problème qu’il énonce (sans s’interroger sur ledit problème d’ailleurs, mais ça méritera un autre article ça). Comme il menace de liquider 50% de la population de l’Univers, il faut le combattre. Mais, en réalité, il y a déjà un erreur dans l’énonciation-même du problème : la focalisation sur la question démographique uniquement ! Bien sûr, cette dernière possède des enjeux. Nourrir toute la population mondiale, par exemple, tout comme lui donner un espace de vie décent. Mais, les malthusiens comme Thanos véhicule une pensée critiquable, si je résume, à deux niveaux : écologique et social.
La critique écologique – un facteur (minime) parmi d’autres.
Mettre en avant uniquement la question démographique est une erreur. Jusqu’à une certaine période, ce problème est même marginal. Prenons un exemple écologique. Grosso modo, durant le XXe siècle, la population mondiale va tripler. Alors que, durant la même période, les émissions de carbone vont être multipliées par dix-sept (Bourg, 2020). Et ce sont les actuels pays riches – et donc anciennement industriels durant le XIXe-XXe – qui ont généré ces émissions. La population compte donc peu. De plus, au début du XXIe siècle, pour ce qui concerne la question des flux de matières et d’énergies ( comprenez : ce que vous consommez directement et indirectement), cette dernière est directement liée au niveau de vie des personnes. En bref : plus vous êtes riches – et consommez comme tel – plus vous dégradez.
Donc, d’un point de vue écologique, une augmentation de la population devient un vrai problème surtout – voire uniquement !- si ladite population se met à consommer comme les pires d’aujourd’hui. Cependant, de ce point de vue, la solution de Thanos – au-delà du fait que c’est un meurtre de masse : ce qui la disqualifie en soi – ne règle pas le problème. Pas durablement puisque la population va recommencer à croître techniquement. Réduire les flux de matières et d’énergies de celleux qui consomment le plus pour stabiliser ces derniers à un niveau viable pour notre planète, cela, règle le problème durablement. Et c’est le plus urgent. Bien entendu, chercher un stabilisation de la population aussi : on va pas s’imaginer à 100milliards sur Terre. Mais, là aussi, croire que la population augmentent toujours de manière exponentielle est une erreur, les courbes finissant souvent par se stabiliser – voire régresser (Maréchal, 2017).
La critique sociale : sacrifier les pauvres pour sauver les riches.
La critique sociale concerne davantage certains tenants du malthusianismes que Thanos. Je l’ai dit, pour Malthus, c’était l’accroissement des populations pauvres le problème. Or, dans les reprises de sa pensée après la Seconde Guerre Mondiale, cet aspect de sa pensée va aussi être parfois repris. Pour ne citer qu’un exemple, Garrett Hardin (1915-2003), dans les années 60-70′ va défendre que les USA sont, en quelques-sorte, « un joli petit canot de sauvetage » (Bourg, 2020) . Or, pour Hardin, si on laisse les pauvres (du « Tiers Monde » dans le langage de son temps), qui selon lui se reproduisent de manière trop grande, montrer dans ledit canot, celui-ci va sombrer. Donc, il ne faut surtout pas aider les pauvres. Il faut les laisser crever pour sauver le canot des plus riches. C’est hard…
Discours (hélas) encore actuel …
Et, bigre, c’est un argument que j’entends encore aujourd’hui. Certain.e.s de mes contemporain.e.s, fort.e.s de leurs privilèges, juge les pays « en voie de développements » de faire « trop » d’enfants. Primo, le fait de faire beaucoup d’enfant est très intimement lié au contexte socio-politique d’une région ou d’un pays. Si un pays ne possède que peu (ou pas) de politique de soutien social, faire des enfants reste un moyen de s’en assurer potentiellement une. Donc, si je carricature : le riche dit au pauvre « Tu n’avais qu’à vivre dans un pays riche, là tu aurais pas besoin de faire autant d’enfants. » C’est absurde.
Ensuite, plutôt que de juger gratuitement des pays qui tentent d’améliorer leur niveau de vie, essayons de proposer un partage équitable des moyens de production et de consommation ! Certes, suivre le modèle que nos pays ont pris – donc le développement industriels massif – n’est pas un bon plan, mais alors proposons des alternatives. Car, non on ne résoudra rien par la négation d’autres êtres, encore moins d’un simple claquement de doigts (désolé Thanos).
Conclusion théologique : vers une prospérité juste.
Quand je parle de ces questions de populations dans les milieux chrétiens, on me rétorque souvent : « Oui mais Dieu a dit en Genèse : Multipliez-vous et remplissez-la terre » et que la « prospérité » fait partie de la bénédiction de Dieu etc. Bon, premièrement, il ne me semble que pas « multipliez » et « remplissez » soient synonymes de : « détruisons la biosphère pour que le confort des plus riches ». Ensuite, à quel moment – saperlipopette – notre « prospérité » pourrait se faire par le sacrifice des plus démuni.e.s à qui on reprocherait encore d’être « trop nombreux » ?
De plus, la prospérité, comme la croissance n’est pas que matériel. Pourquoi ne pas chercher, par la sobriété de nos modes de vies, un moyen de vivre une prospérité humanisante ? Culturelle ? Artistique ? Communautaire ? etc. qui, du mieux possible permet à chacun.e de s’épanouir individuellement et collectivement ? N’est-ce pas carrément plus préférable que de trouver des solutions cyniques à la Thanos, qui d’un claquement de doigts génocidaires, croit régler le problème ?
Osons chercher une prospérité juste.
Génial, merci pour cette brillante réflexion !
Je ne connaissais pas la pensée de l’ami Malthus.
Un des trucs qui m’a énvervé dans ces films autour de Thanos: à aucun moment les Avengers (il me semble, j’ai peut être regardé rapidement) ne reconnaissent la validité du problème soulevé par Thanos. Ils ne cherchent pas à vérifier si c’est vrai ou pas. Et encore moins à élaborer des manières alternatives de résoudre le problème soulevé.
En fait, en étant défenseurs de l’ordre établi, et en n’écoutant pas les mises en gardes de Thanos, mais en se focalisant juste sur ses méthodes (discutables, certes)… c’est presque autant des bad guys que lui! OK ils ont butés Charybde, mais ils conduisent le bateau droit sur Scylla.
C’est en fait la position dans laquelle se retrouvent certain·e·s qui critiquent les écolos ou les féministes sur leurs *méthodes* ou leurs *actions* — mais ne font rien pour adresser le problème fondamental.
Et ça me fait penser à cette citation de Marthin Luther King Jr. :
> Je suis presque arrivé à la conclusion regrettable que la grande pierre d’achoppement du Noir dans sa marche vers la liberté n’est pas le Conseils des citoyens blancs ou le Ku Klux Klan, mais le blanc modéré, qui est *plus dévoué à l' »ordre » qu’à la justice* ; qui préfère une paix négative qui est l’absence de tension à une paix positive qui est la présence de la justice ; qui dit constamment : * »Je suis d’accord avec vous dans le but que vous poursuivez, mais je ne peux pas être d’accord avec vos méthodes d’action directe »* ; qui est paternaliste et croit pouvoir fixer le calendrier de la liberté d’un autre homme ; qui vit selon un concept mythique du temps et qui conseille constamment au Noir d' »attendre une saison plus propice ».
C’est pas pour comparer Thanos à MLK ^^
Par contre ça question: des fois on peut penser défendre un bien, alors qu’on protège protège simplement un mal…
Merci de ton commentaire, que je rejoins totalement : en écrivant l’article je me suis rendu compte qu’il en faudrait également un sur « Les Avengers – l’idéal de l’ordre établi « bien-pensant. »
En effet, ils ne se confrontent à Thanos uniquement pour sa solution et son attitude de « tyran », sans se questionner sur le problème soulevé : c’est clairement là la limite des productions du MCU selon moi.
Mais parce que les Avengers en eux-mêmes (surtout Iron Man + Captain America + Fury ; etc.) sont des bons représentants de traits communs actuels : riche technocrate, patriote ou représentant de « l’ordre ». Et comme tu dis, ils ne s’interrogent jamais sur la question que soulève Thanos, le reléguant simplement – comme dit Gamora – au rang de monstre/malade.
Et c’est là qu’apparaissent selon moi, les « grosses ficelles » du MCU : les goods guys sont, finalement, les défenseurs et les représentants d’un mode de vie / de valeurs occidentales très mainstream : richesses, technologie (moralité douteuses quand même), consommation, patriotisme et j’en passe. Tout ça pour dire, qu’aux égards de Thanos, in fine, les Avengers peuvent être vus comme autant de bad guys… ça méritera clairement un article… !
La citation de MLK : « le blanc modéré, qui est *plus dévoué à l’ »ordre » qu’à la justice* ; qui préfère une paix négative qui est l’absence de tension à une paix positive qui est la présence de la justice ; qui dit constamment : * »Je suis d’accord avec vous dans le but que vous poursuivez, mais je ne peux pas être d’accord avec vos méthodes d’action directe » est juste tellement actuel.
Cela me fait penser à Jean-Pierre Dupuy (2002) qui va affirmer que l’un des problèmes de nos démocraties est le fait qu’elle ne s’appuie que sur la rationalité procédurale : si on passe par les procédures de nos institutions – pour toutes questions – alors ça sera forcément qqch de juste ou bon. Cette rationalité peut être juste. mais si elle devient la seule possible, alors elle est néfaste. Finalement c’est assez ça la rhétorique de la tiédeur : « oui on peut remettre en question, vouloir des changements, etc., mais la seule méthode => c’est de passer par les procédures établies et surtout pas d’autres ». Rationalité qui, selon moi, est mise en échec par exemple, avec la notion d’une urgence climatique.
Yes !
En ce sens, il serait intéressant d’explorer la série The Boys, qui critique exactement ça… et dans laquelle l’Eglise est joyeusement complice !